À Montpellier, faire vivre la mémoire des génocides pour renforcer les valeurs démocratiques et la conscience historique

commémoration génocide arménien

Merci cher Vincent Duclert, de tenir ce colloque et de vous dire avec Clare Hart, vice-présidente aux relations internationales combien nous sommes honorés de vous recevoir ici et de recevoir des chercheurs qui viennent de partout, qui viennent à nous, ici, dans ce lieu qui fut auparavant l'école des Beaux-Arts de Montpellier et qui a notamment eu comme étudiants et étudiantes Pierre et Colette Soulages, Robert Combas, Valentine Schlegel et d'autres.

Depuis 25 ans, il abrite la maison des relations internationales. C’est un lieu où Montpellier dialogue avec le monde par la culture, par la fête, à travers les soirées festives, mais aussi à travers les échanges académiques, intellectuels, et cela est pour nous très important. Nous sommes très honorés de vous recevoir ici, je veux le dire avec beaucoup de force.

Je voudrais quand même, avant de dire quelques mots sur la mémoire du génocide arménien, me faire le devoir de saluer la mémoire de Pierre Nora, auteur des « Lieux de mémoire », et qui peut-être fera l’objet dans le colloque de controverses sur le devoir de mémoire ou pas, car il y contribua.

Je ne suis pas là pour trancher la controverse, mais je voudrais saluer publiquement ce très grand historien qui a joué un rôle, dans sa discipline, l'histoire, mais aussi dans le débat intellectuel, en montant la revue « Le débat », et peut-être regretter qu'un jour, avec son équipe, ils aient baissé les bras en se disant : « il est difficile encore d'exprimer des opinions complexes et de nourrir le débat démocratique ». Je veux dire avec force que nous, nous tiendrons bon ici. C'est vraiment très important.

Ensuite, que pouvons-nous ? Bien sûr, soutenir ce type de colloque. Mais moi, la fonction de Maire qui est la mienne, est une fonction éminemment républicaine, de construction de la citoyenneté auprès de nos administrés et de devoir de vigilance comme l'a rappelé Michaël Iancu. À Montpellier, nous sommes une des premières villes de France où un Maire a jugé utile d'ériger un monument à la mémoire des victimes du génocide arménien, Georges Frêche, je le salue.

Il l’a fait, bien sûr, peut-être, au contact toujours très intimidant du grand professeur Dédéyan, parce qu'il le rencontrait. Mais il ne l'a pas fait parce qu'ici il y avait une diaspora plus importante qu'ailleurs. Il l'a fait parce qu'il était un Maire historien, et se disant comment nous devons, nous pouvons, œuvrer à la mémoire. Et je dois vous avouer que cette cérémonie, à laquelle je participe comme élu depuis de nombreuses années est un moment toujours très émouvant.

Où à la fois on rencontre des rescapés, des familles rescapées, qui ont le deuil de leurs aïeux qui sont là, et c'est aussi un moment où l'on est sur l’esplanade et où l'on s'adresse au grand public. C'est là où la dimension civique du Maire, des élus, joue son rôle. Dire ce qu'a été la réalité génocidaire, raconter le processus génocidaire, raconter les voix qui ont courageusement pris la parole en Europe, mais aussi toutes les lâchetés des diplomaties face au processus.

Et puis, c'est l'occasion aussi, souvent, de rappeler, comme dans l'allocution que j'ai prononcée il y a deux ans, qu'il faut défendre la liberté des historiens. Parce qu'en Turquie, il y a des historiens qui font leur travail d’historiens. Et qu'aujourd'hui, la reconnaissance du génocide arménien, établie par de nombreux européens, en France en particulier, n'est pas le cas partout.

Cher Michaël tu as cité le terme négationnisme. Il est très puissant à l'endroit du génocide arménien. De la même manière que la Shoah souffre d'un négationnisme dont Robert Faurisson était la triste figure pendant de nombreuses années, mais aujourd'hui vient se confronter à un relativisme, qui est très dangereux. C’est curieux à dire mais on entend « c'est loin, on n'arrête pas de nous en parler », etc. Donc là, nous avons un devoir de vigilance.

En ces temps, nous sommes parfois inquiets, ou parfois nous baissons les bras, ou parfois nous doutons. L'année dernière, quand nous avons pris la décision d'ériger une stèle commémorative à la mémoire du génocide rwandais, pour lequel, cher Vincent Duclert, vous avez tant œuvré, lorsque les représentants d’Ibuka ont pris la parole, j'ai été très ému. Parce que, dans cette tragédie où des témoins ont pris la parole, c'était éprouvant, j'ai été très touché quand les représentants d’Ibuka évoquaient le génocide arménien, évoquaient la Shoah...

Nous n'étions pas dans une compétition mémorielle où des mémoires se pensaient en silos. C’est la mémoire, non pas des rescapés, non pas des descendants, c'est la conscience de l'humanité. Parce que cette question du génocide nous renvoie à notre propre humanité, à ces questionnements : qu’aurions-nous fait ? Comment des gens qui sont nos semblables, Hannah Arendt a très bien traité cela, ont pu se livrer à pareilles abjections sans avoir le discernement ? Comment ce processus peut avoir lieu ?

Et donc, j'en viens à nouveau au rôle d'un Maire. Une stèle, Nous aurions voulu le faire cette année, on le fera l'année prochaine, j’en prends l’engagement, mais à l'occasion des 80 ans de la libération du sol national en 1945, une stèle sera érigée. Nous mettrons certains noms de survivants des camps côté du monument à la mémoire des victimes de la Résistance et de la déportation.

Nous allons faire ça, et on va continuer, parce que c'est ça notre rôle. Ce n’est pas de porter une mémoire pesante sur les jeunes générations. C'est de créer les conditions pour que leurs professeurs, pour que ceux et celles qui s'intéressent à ces sujets, ou estiment qu'ils ont un rôle à jouer, puissent transmettre, expliquer, cultiver ce qui est quelque chose de formidable dans un enfant, à savoir son caractère espiègle, curieux. Il veut comprendre, et a besoin de la grande rigueur des historiens, pour pouvoir ensuite utiliser le meilleur matériau pour saisir et pour semer quelque chose.

Parce que de la même manière que pour le génocide arménien, nous n'avons plus la parole des rescapés. Pour ceux de la Shoah, nous avons eu la chance de recevoir ici Ginette Kolinka et nous savons que le temps fait son œuvre. Et donc nous, nous devons travailler à cette transmission.

C'est là notre rôle. C'est là ce que j'appellerais l'alliance, la coalition, entre la communauté académique, scientifique, qui doit continuer à traiter de ces sujets, et nous, qui sommes ici élus, responsables des politiques mémorielles, des noms de rues, de places, de crédits que nous mettons aux côtés de l'éducation nationale pour sensibiliser, pour expliquer, face à, disons-le, des dérives qui sont là, les réseaux sociaux, j'évoquais les relativismes etc.

Mais, notre camp n'est pas désarmé. Je veux le dire. Nous pouvons continuer à semer, et j'ai une profonde confiance, car on le voit chaque fois qu'on invite des jeunes aux cérémonies, chaque fois que les projets se conduisent, chaque fois qu'un professeur enseigne le génocide arménien au milieu de la Grande Guerre. Les gens se posent des questions, ils ont soif de comprendre. D'ailleurs, celui qui me l'a raconté, c'est Aurel, notre dessinateur, qui a traité de l'Arménie.

Aujourd'hui, à vous de faire votre travail, aux chercheurs, et c'est pour ça que nous sommes très honorés de vous recevoir, de pouvoir tenir colloque, que vous ayez ce rôle, et produisiez davantage d'ouvrages encore qui aident les professeurs, aident les élus, que nous travaillions à cela. C'est vrai que les temps apparaissent parfois sombres, moi, je suis de ceux qui, comme tant d'autres, relevons les défis qui sont devant nous, et nous devons continuer à nous adresser à la jeune génération et continuer à nous élever dans le débat démocratique et dans le débat mondial, face à ce spectre très dangereux qu'est le négationnisme.

Je veux le dire ici. Nous devons, là, être très vigilants, comme cette phrase de nous le rappelle : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». C'est pour ça que nous avons besoin du travail des historiens et des historiennes.

Je suis vraiment très heureux de vous saluer et je vous dis : « Comptez sur nous ».

M. Duclert nous vous remercions. Car si la liberté académique s'exprime, c'est les libertés démocratiques qui sont confortées ; ensuite, chacun fait son devoir, a sa tâche, pour faire en sorte que notre humanité puisse continue à assurer des chemins de projet.

Merci infiniment.