Hommage à l’homme qui fit danser le monde à Montpellier - Jean Paul Montanari

hommage à Jean Paul Montanari

Je remercie le représentant du Ministère de la Culture ici présent et saluer Rachida Dati qui a eu la délicatesse de m’appeler pour me dire qu’elle avait été retenue. Tant de Ministres de la Culture ont suivi la danse à Montpellier grâce à Jean-Paul Montanari.

Je veux évidemment saluer le Président du festival, Didier Deschamps et toutes les équipes. Saluer Christian Assaf qui représente ici la Président de Région ; associer à ma prise de parole Agnès Robin et Éric Penso élus en charge de la culture ainsi que les nombreux élus du conseil municipal de Montpellier qui sont présents. J’aimerai aussi remercier les deux parlementaires, Madame Fanny Dombre-Coste et Monsieur Hussein Bourgi de leur présence, elle est importante.

Je voudrais une fois n'est pas coutume inviter Madame Claudine Frêche à mes côtés pour cette prise de parole, qui a évidemment connu et accompagné toute l'aventure de la danse contemporaine à Montpellier de ses débuts, jusqu'à aujourd'hui où s'ouvre un nouveau chapitre. C’était une amie intime de Jean-Paul Montanari.

Je dois vous le dire, le moment est lourd, car effectivement, rendre hommage deux fois à une figure, à un ami, est un exercice très difficile. Je voudrais avant d'entrer dans le propos, remercier Fabrice, Mathilde et Salia de ce très bel hommage dansé, auquel il pensait depuis quelques temps, nous en avons parlé, mais qui est sans doute la forme la plus élégante.

Croire en force de l'esprit. Pour la première fois, le festival de Montpellier Danse se tient sans Jean-Paul Montanari, lui qui avait une lecture hors pair, le regard fin et assassin, cher Mathilde, sur les artistes et leur rapport à la scène et à l'espace. Hors de question de se tromper entre les treize vents, le théâtre de l’Agora, l'opéra Berlioz, la Comédie, d’où un artiste devait être programmé.

Il avait cette lecture hors pair de l'espace pour nous donner à voir les corps. Force de l'esprit. Montpellier Danse s'est ouverte et tout le monde ici cherche une silhouette familière, qui souvent regardait le spectacle au fond de la salle au rang officiel, fauteuil J2 pour les intimes, salle Berlioz, au Corum.

Il était là avec son éventail, dont je vois que la tradition ne se perd pas. Souvent il l'activait vite ou le refermait et il disait : « trop long ». Il commentait très vite la programmation. Cette silhouette, nous la croisions, chacun de manière diverse, à la sortie parce qu'il voulait nous regarder pour voir comment nous avions nous public, réagir. Il était furtif.

Les soirs dans cette cour, et avant, chère Claudine, au domaine de Gramont ou de Meric, les repas étaient interminables. Les moments où nous accueillions les artistes avec Georges Frêche, étaient des moments de complicité absolument incroyables. On y parlait de danse et de tout.

Le soir de l'ouverture du festival, il n'y avait ici non plus un repas, ni même un souper, comme il aimait le décréter, il y avait un pot de l'amitié. Hier, chère Dominique, vous m'avez montré une photo que Jean-Paul aurait aimé brandir comme un étendard dans ses temps de ténèbres, celle d'un artiste israélien et d'un artiste iranien, hilares et s'embrassant tendrement, ici, dans cette cour de l'Agora, dénommée pour Montanari.

Les forces de l'esprit, d'une certaine manière, il est très présent en ce lieu en cet instant.

Merci aux journalistes de suivre la danse contemporaine. Ils aimeraient discuter avec lui et le questionner sur pourquoi ce choix d'ouverture ; de cet effondrement que nous avons vu au théâtre de l'Agora hier ; de cette complicité entre la danse, le ballet et le théâtre ; des questions écologiques…

Je n'en serais pas capable, et d'ailleurs, ce n'est pas mon rôle, mais il aurait sans doute dit des choses qui nous auraient élevé. Il aurait été dans une souffrance abominable de ne pas savoir que la Batsheva n'aurait pu être là. Il aurait été dans une colère noire, sans doute m'aurait-il appelé pour que j'appelle le Ministre des Affaires extérieures pour que nous puissions affréter d'une manière ou d'une autre un avion, un bateau, une voiture, peu importe, et pour que les artistes viennent.

Ça aurait été un crève-cœur car sa compagnie de Tel-Aviv il l'aimait, il voulait la programmer, il y était très attaché, parce qu'ils étaient le symbole de la liberté ; la liberté artistique mais aussi le courage de dénoncer façon puissante les injustices de ce monde. Il aurait beaucoup souffert de cela. Il n'est pas là.

A cet instant, il y a des visages qui ont fait beaucoup d'éditions du festival. Il y a des visages plus jeunes qui vivent que depuis quelques éditions de ce festival. Et nous, les élus de la République, avons une responsabilité, c'est de dénommer, pour que la mémoire ne tombe pas dans l'oubli, pour qu'elle vienne rappeler aux vivants, aux générations futures, ce que les uns et les autres ont bâti et édifié.

Jean-Paul était très attaché à cette tradition. Et d'ailleurs, un jour, nous avons à sa demande dénommé un square Dominique Bagouet, juste à côté de l'église Saint-Roch, où il vivait. Et puis, quand j'ai été élu Maire, j'ai obtenu cette prérogative de pouvoir proposer au conseil municipal.

Il a tenu, chère Mathilde, à ce que, dans la tristesse infinie de la disparition de Raimund Hoghe qui avait, en 2010, fait le boléro, ici, trois heures durant, à l'Agora, que nous le dénommons dans une place à la Cité des Arts ; tout comme il fut très sensible à ce que Lise Ott, qui avait tant écrit sur la danse contemporaine, soit aussi honorée.

Au moment de sa disparition, comment lui rendre hommage ? Nos discours, nos mots volent. Et il m'a été dit, par Françoise, qui l'a accompagnée, qu'il souhaitait que cet endroit, la cour de l’Agora, soit le lieu de la dénomination. Moi, je cherchais, j'avais des idées, vous savez : grands espaces, grands lieux ; mais en fait, évidemment, la Cour Montanari, la cour de l'Agora.

Cher Fabrice, tu as donné une réponse à ce choix, en nous disant qu'il y avait ici, scellé, l'acte, la signature de Georges Frêche, apposée sur ce projet incroyable qui a été conduit. Et je me souviens de toi, Jean-Paul, me disant, au creux de l'oreille, il y a dans cette cour, sur ce sable, une partie des cendres de Merce Cunningham, merveilleusement photographié par notre cher Jean-Michel Mart, dansant devant le Kiosque de Bosc, au crépuscule de la vie, nous montrant qu’elle était belle quand elle était pensée.

Je comprends mieux pourquoi Jean-Paul tu voulais ce lieu. Tu as beaucoup rouspété ici après les équipes, tu as beaucoup fait de l'onomatopée « bzzz », tu as beaucoup embrassé, querellé, controversé, tu as surtout beaucoup fait danser dans cette cour où tu as programmé. Et au fond, l'avenir, ce sera cela : discuter de la danse, programmer de la danse, faire danser dans la Cour Montanari.

Dans ce lieu si emblématique d'une conviction, qui n'est pas la conviction que d'hommes et de femmes, qui est la conviction d'une ville, Montpellier pour la danse. Une conviction parce que, ici, c'est un projet politique, au sens le plus noble du terme, pour la culture, pour les arts, pour les artistes, pour le public qui s'est noué.

L'histoire, Dominique Bagouet, Jean-Paul Montanari, Georges Frêche, avec cette photo, chère Claudine, que vous aimez tant, et pour laquelle, dans ce vendredi de tristesse et de chagrin immense, vous m'avez dit : « c'est celle-là qu'il nous faut brandir à l'hommage, et que nous ferons vivre ».

C'est là qu'est née une aventure, et pour faire grandir l'aventure du festival plus ambitieux, du CCR plus généreux, et bien, il fallait un lieu. C'était l'Agora de la Danse, l’ancien couvent des ursulines, où il y a une âme de liberté. Jean-Paul, quand il vous faisait visiter, il disait : « là, c'était une cellule, je peux t’y enfermer si tu n’es pas sage ». Il pouvait parler comme ça. Certains, ici, voient à quoi je fais allusion.

Ce couvent devenant alors un lieu de liberté pour les artistes. Et donc, ce projet, il a été porté parce que vous avez, chers Montpellierains, chers Montpellieraines votées, je le dis comme telle, pour des équipes municipales qui soutenaient ce projet.

Parce que Jean-Paul savait qui portait des projets réactionnaires et qui portait des projets de progrès émancipateurs. Et il se trouve qu'en 2010, les choses ont été terribles au moment où toute une grande partie de l'Agora se termine, le 24 octobre, Georges Frêche décède, et tout début novembre, nous devions inaugurer l'Agora de la danse.

Pardonnez-moi de prendre du temps pas pour évoquer cela, pour vous donner cela, comme une grille de compréhension qu’ici, la danse contemporaine est une grande aventure collective qui ne vient pas de nulle part et qui a reposé sur la volonté d'hommes, de femmes, qui ont fait ce choix.

Et l'année dernière, chère Claudine, nous étions ensemble, Jean-Paul, vous-même, moi-même, Michel, d'autres, pour terminer l'Agora, pour finir la maison, la grande maison de la danse que les artistes trouvent incroyable. Nous l'avons terminée, et c'était son désir.

C'est chose faite Jean-Paul ; et maintenant que la maison est finie du point de vue bâtimentaire, elle est aussi unie du point de vue du projet pour la danse contemporaine. C'est un geste très fort.

Je voudrais évoquer une chose : ce n'est pas le dernier hommage que nous rendons à Jean-Paul. Il le fallait réussi pour la dénomination.

Cher Kader Attou, lors de l'hommage à Gramont, si douloureux, vous avez raconté une histoire incroyable : le hip-hop. D'ailleurs, chère Claudine, vous vous souvenez la fois où Jean-Paul Montanari a dit que son rêve de faire la danse, c'était de faire que du hip-hop.

Et pendant deux mois, on a dû lui expliquer que non le festival tenait. C'était en 2008.

Jean-Paul, avec l'intelligence de sa programmation et la force de sa voix, a fait entrer le hip-hop dans les lieux institutionnels. C'était un choix très fort de le défendre et aujourd'hui, les chorégraphes viennent du hip-hop participant à la diversité de l'expression chorégraphique.

L'hommage que nous rendrons, ce n'était pas prévu, Jean-Paul, ce n'était pas prévu. Normalement, c'était pour inaugurer la Comédie refaite. C'est Mourad Merzouki qui clôturera le festival et qui sera l'hommage de toute la ville, de tous ceux qui viendront pour partager autour de la danse contemporaine, pour dire l'amour d'une ville pour la culture, pour la danse.

Il se trouve, chère Léopoldine Dufour, qu'hier, vous avez sorti une archive incroyable. Il y a 30 ans, Jean-Paul Montanari donnait Maurice Béjart, sur la place de la Comédie. Quand vous écoutez l'archive sonore, personne ne pense qu'il y aura du monde, sauf Montanari. 6 000 personnes sont là. La compagnie Béjart danse au son de l'hymne à la joie. Je vous le dis, je le raconte tout le temps, les journalistes n’en peuvent plus. J'avais 17 ans. Et j'ai vu ça.

Un homme, une ville, a fait cadeau à des milliers de personnes de ça. C'est beau de donner à une ville, à des gens, quel que soit leur âge, un chorégraphe, un spectacle, un geste.

Et bien nous, Jean-Paul, on veut continuer. C'est le serment de la Cour Montanari. C'est le serment de tous les citoyens et citoyennes qui sont là, que tu aimais regarder. Si hier, tu t'étais levé après ce spectacle incroyable à Berlioz, tu aurais sans doute pris mon bras et tu m'aurais dit « c’est incroyable, le public est toujours là. » Nous allons continuer de donner de la danse contemporaine au public. Je t'en fais le serment.

Madame Frêche, votre nom doit être associé à cet hommage, chère Claudine, parce que rien n'aurait été possible sans l'immense complicité qu'unissait Georges Frêche, mon illustre prédécesseur à Jean-Paul Montanari. Il y a un livre de Max Weber qui s'appelle Le savant et le politique. Georges Frèche était le politique. Montanari était l'artiste.

Ce couple incroyable a donné à cette ville l'écriture de sa moderne vie. Montpellier est ce qu'elle est grâce à l'exigence, l'excellence qu'a donnée Jean-Paul Montanari à travers la danse.

C'est un des fondements de l'identité de notre ville. Cette cour, cette agora, c'est l'espace public dans lequel nous allons venir parler des spectacles et découvrir, discuter avec les formidables équipes en place.

Les forces de l'esprit veilleront sur nous. On te voit là-haut avec ton éventail.

Je voudrais terminer pour que chacun prenne la mesure des choses. Cher Montpellierains, cher Montpellieraines, en 24 heures, la formidable équipe de Montpellier Danse a retrouvé le nom de tous les chorégraphes qui sont venus danser à Montpellier.

Est-ce que vous vous rendez compte de ce que nous sommes ? Une ville qui était la 25ème ville de France en 1981 et qui est aujourd'hui la 7ème. Une ville qui est parfois vue comme une ville de province. Une ville un peu loin de tout, qu’on regarde de loin... Enfin, qu'on aime quand même.

Et bien cet homme, il a fait venir 600 artistes du monde entier danser ici, à Montpellier.

600. Quand cette page est parue dans Le Monde par la magie des réseaux sociaux, des chorégraphes que je ne connaissais pas m’ont écrit un petit message en disant « Cette ville est incroyable. » Et c’est grâce à toi cher Jean-Paul.

Alors, l'aventure n'est pas finie parce qu’on nous en voudrait, elle continue.

Après sa mort j'ai réuni tout le jury pour choisir le devenir de cette maison qu'il a voulu édifier ; processus qu'il avait très largement impulsé dans ses réflexions, en ne voulant pas être pesant, mais certain que la danse pourrait continuer à vivre.

Dans la cour Montanari, je voudrais appeler Jann Gallois, Hofesh Shechter, Dominique Hervieu et Pierre Martinez qui sont aujourd'hui le formidable quatuor, qui prennent, qui écrivent et nous font vivre à travers la danse.

Dans la pudeur de chambre d'hôpital où des soignants extraordinaires prenaient soin de Jean-Paul, il disait combien il était heureux que vous récupériez les clés de cette grande maison pour que Montpellier danse et que nous continuions à voir la danse à Montpellier.

Vive la cour Montanari. A toi Jean-Paul. Merci.

Vive la danse. Vive la culture. Vive Montpellier.