Discours prononcé par Michaël Delafosse, maire de Montpellier, Président de Montpellier Méditerranée Métropole à l’occasion d’une minute de silence à la mémoire de Samuel Paty et Dominique Bernard.
Montpellier, Cour Soulages, Rectorat de Montpellier, le 14 octobre 2024
« Merci de me donner la parole, surtout chaque année, depuis la disparition de Samuel Paty, et de tenir ici, dans la Cour Soulages, ce moment de recueillement.
Monsieur le Directeur du cabinet du Préfet, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Madame la Rectrice, Mesdames et Messieurs qui tous et toutes servez d'institution si importante pour notre pays : l'Éducation nationale.
Il y a un an et un jour, quand nous nous retrouvions pour l'hommage à la mémoire de Samuel Paty nous avions eu le témoignage bouleversant d'un ami, d'un compagnon de Dominique Bernard.
Nous étions nous-mêmes bouleversés et sidérés. Bouleversés par l'atrocité, parce que quelqu'un qui enseigne la laïcité ça aurait pu être chacun d'entre nous. Dans un lycée à Arras, sidérés, parce que pour la deuxième fois, le fanatisme islamique tuait un professeur.
Il nous faut honorer cette mémoire, honorer pour dire que nous tenons. Et là encore, Madame la Rectrice, je veux vous remercier pour tenir ce moment de recueillement et de commémoration. Je veux dire aussi que dans nos villes, nous le faisons.
Ici, vous étiez à nos côtés pour inaugurer une école au nom de Samuel Paty, avec ce discours qui me marquera pour toujours de cette directrice d'école qui a eu cette phrase : « Quoi de plus juste que de donner le nom d'une école à un professeur ? ». Loin de toutes les peurs, loin de tous les commentaires, loin de tous ceux qui baissent la tête, cette directrice d'école a pris son rôle à bras-le-corps. L'école est le lieu de la transmission du savoir, des connaissances, de l'émancipation, mais aussi de l'explication des tensions que peuvent traverser une nation.
Nous honorons la mémoire de Dominique Bernard devant le collège Port Marianne, cher Jean-Louis Gély, représentant le département. Ce collège Port Marianne portera le parvis de Dominique Bernard.
J'ai reçu il y a quelques mois sa veuve qui s'était astreint à un silence médiatique, tant l'épreuve est lourde, mais, qui avant-hier a publié un texte magnifique dans le journal « Le Monde » en disant : « Je mesure dans ma chair à quel point la laïcité est un cadre pour bien vivre ensemble ».
Quel courage, alors qu'un être cher a été arraché par un fou de Dieu, fanatique islamiste, que de dire cela. Elle le dit avec beaucoup de force et nous devons être ses porte-parole, car beaucoup d'hommes et de femmes dans notre pays dévoient cette valeur, ce principe, cette obligation juridique qu'est la laïcité, et nous devons nous ériger contre ceux qui entretiennent la confusion des mots.
La laïcité, la neutralité du service public n'est pas à géométrie variable. Je veux saluer ici la décision de la rentrée de 2023 d'appliquer strictement la loi de 2004. Je veux le dire avec force.
Certains utilisent le terme de laïcité pour le transformer en grève contre certains de nos concitoyens et je dirais parfois contre certains de nos élèves. Et d'autres considèreraient que la laïcité serait assimilée à une forme d'intolérance religieuse. Certains utilisent et je combats ce terme « d'islamophobie ».
Christianophobie, judéophobie, islamophobie, ça ne peut pas exister dans notre vocabulaire. Sinon, nous interdisons, nous mettons des limites à la liberté d'expression, celle qui a valu la mort des journalistes de Charlie Hebdo. Notre pays reconnaît le droit de critiquer les religions, le droit de blasphème. Il ne s'agit pas de viser les personnes, il s'agit de pouvoir dire ce qu'on pense sur telle ou telle religion comme il faut le faire, sur telle ou telle formation politique, tel ou tel corps constitué. C'est une liberté fondamentale, celle de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Nous le devons, tenir sur les concepts, sur les mots. C'est ce que vous faites, Madame la Rectrice, et à travers vous, l'ensemble des professeurs, et l'ensemble des cadres de l'institution scolaire, mis sous la pression pénible, douloureuse des réseaux sociaux, de ceux qui agitent le débat démocratique sans faire usage de la raison, sans nuance, sans pondération, sans mesure.
Il faut ici saluer l'institution scolaire, qui, loin des gazouillis, des bruits, des cris de notre société, essaye de maîtriser le temps long, de s'adresser à des jeunes de 10, 12, 14, 16 ans, pour qui l'avenir est devant eux, et leur poser en germes, en explications, ce qu'est la valeur qu'est la laïcité.
Comme le disait la veuve de Dominique Bernard, la laïcité garantit le vivre ensemble. C'est le projet Républicain, c'est le projet de notre pays, celui que défend nos sociétés de fraternité. Ainsi, c'est inscrit sur les frontons du rectorat, depuis quelques mois, avec ce travail extraordinaire, de nos mairies, de nos lieux de la délibération collective, de nos institutions.
Je veux vous dire, Madame la Rectrice, que vous pouvez compter sur notre engagement, sur mon engagement. L'engagement de me faire le porte-parole aux côtés des trois collectivités territoriales, aux côtés de l'institution scolaire, pour faire vivre le principe de laïcité. Nous formons, à la mairie de Montpellier, depuis maintenant deux ans, l'ensemble de nos agents, parce qu'ils ont des responsabilités, en tant qu'adultes, dans le cadre scolaire.
Vous pouvez compter sur nous pour continuer à porter, et à être aux côtés des professeurs, pour porter des projets pédagogiques qui aident nos élèves à comprendre. C'est d'ailleurs une grande fierté, et hélas une singularité, que la ville de Montpellier soit la seule collectivité territoriale à financer le prix Samuel Paty, dont, quelques établissements de l'académie de Montpellier ont été lauréats, et imaginez ce que ça veut dire pour ces jeunes que d'entrer dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne et de rencontrer le Premier ministre de la République, à l'époque la Première ministre. Ce chemin-là, il est exigeant. Vous êtes les garants d'un magistère essentiel, celui du temps long.
Nous devons continuer à vous dire, et nous devons faire bloc, et je veux réagir à votre propos. Merci de ce que vous avez dit pour Tourcoing. Si demain, ça nous arrive à Montpellier, il nous faudra être aussi unis, aux côtés d'un enseignant. Il ne peut y avoir, en la matière, d'évitements.
Tous les débats démocratiques sont légitimes dans une société, mais quand ce qui est essentiel est en jeu, nous devons nous soutenir, en bloc. La mort de deux professeurs par deux fanatiques islamistes, qui devront rendre compte, devant la justice, les complicités pour Samuel Paty et l'assassin pour Dominique Bernard, doivent trouver écho, qui est notre unité, notre capacité à tenir devant nos principes.
Ce message, il est important que nous le tenions pour qu'aucun, aucun personnel de l'éducation nationale ne se sente dans une situation d'isolement pour ce qu'il incarne : le savoir, la formation à l'esprit critique, les valeurs qui comblent notre société, la laïcité et les valeurs de la République.
Puissions formuler le souhait que les atteintes à la laïcité continuent à reculer, Madame la Rectrice, et que celles qui se sont tragiquement déployées, que sont l'antisémitisme et aussi le racisme, nous puissions continuer à tenir, car ce pays est grand, parce qu'il aime chacun de ses enfants. Je vous remercie. »
Seul le prononcé fait foi.