Discours de Michaël Delafosse
Je voudrais évidemment saluer les consuls, et tout particulièrement monsieur le consul de la République d'Allemagne, qui est là, comme Madame la Consule du Maroc, qui est également présente. Permettez-moi de dire que ces deux nations ont assumé un devoir de mémoire.
L'Allemagne, naturellement, avec force, et dans les comparaisons récentes, j'y reviendrai, nous avons pu voir combien ce travail de mémoire est précieux. J'ai eu l'occasion de le dire et de saluer Madame la Consule, le choix très fort de son Altesse, le roi du Maroc, dans le cadre des accords d'Abraham, de faire enseigner la Shoah aux élèves du Maroc. C'est la conscience universelle, et c'est la grandeur de ce pays, d'avoir fait comme d'autres, mais je veux le saluer, ce choix.
Je voudrais évidemment saluer les représentants de tous les cultes présents, le culte catholique, le culte protestant, le culte bouddhique, le culte musulman, et bien sûr, monsieur le rabbin, vous saluer tout particulièrement et vous remercier. Mesdames et Messieurs, c'est une cérémonie très particulière pour beaucoup d'entre vous, dans vos histoires familiales, nous le disons à chaque fois, et elle nous conduit à beaucoup d'humilité. Je veux évidemment saluer tout particulièrement un des justes que Mickaël a cité tout à l'heure, monsieur Pascal, ici présent, qui ne rate jamais une cérémonie, et dire avec grand honneur que nous recevons Madame Thérèse Wisniak, qui a survécu à la rafle du Vel d’Hiv.
Cette cérémonie, vous êtes nombreux, la municipalité veille à sa captation vidéo, pour que le plus grand nombre puisse se l'approprier, les mots prononcés, les temps de recueillement, la mémoire, pour faire commun, pour faire République. Vous l'avez évoqué, monsieur le Président du Consistoire, Madame la Présidente du CRIF, monsieur le Président de Yad Vashem dans les Rots, je veux aussi vous saluer naturellement. Les temps sont à l'épreuve, la mémoire que nous honorons ici est ébranlée, mais je veux vous dire la résolution et la fermeté qui est la nôtre.
D'abord, du 16 juillet, nous quittons les festivités, les festivités du 14 juillet. Les festivités du 14 juillet qui sont celles de notre Fête Nationale, célébrant la Concorde, l'hommage des forces militaires au pouvoir civil par le défilé devant le chef de l'État, mais qui dans toutes les communes de France nous rappellent notre histoire, celle de la Révolution Française, celle de la prise de la Bastille et celle de la fête de la Fédération en 1790, celle du 26 août 1789, celle de 1791, qui a fait de la France la première nation du monde à accorder la citoyenneté juive. Je veux dire combien cela est important.
Ces célébrations, nous les avons voulues populaires, à notre manière, et, sous l'autorité de Monsieur le Préfet, rendre hommage à ceux qui nous protègent et vous l'avez fait par vos mots. Nos gendarmes, nos pompiers, nos policiers municipaux, nationaux, les services d'enquête mobilisés. Nous l'avons fait avec les enfants et la retraite aux flambeaux, du drapeau tricolore, symbole des combats pour la liberté et l'émancipation.
Nous l'avons fait par ce son et lumière, à l'hommage à Victor Hugo. Nous l'avons fait par une réception en Mairie, des femmes seules avec enfants, rappelant combien la République devait jouer un rôle social. Nous l'avons fait en musique, avec l'orchestre de Montpellier, devant la maison commune et puis en joie, avec le feu d'artifice.
Je mets beaucoup de cœur et d'énergie à cela car commémorer n'est pas un acte neutre. Il est un engagement pour faire comprendre à nous, à la génération qui vient, que nous sommes les héritiers de combats, de temps d'épreuve, d'espérance. Lundi, avec Mme la Rectrice, rue de l'Université, la devise de la République réapparaissait alors que sous Vichy, elle a disparu.
Liberté, Égalité, Fraternité étaient remplacées par travail, famille, patrie. La phrase écrite ici s'était forcée de trouver posément, justement, la réalité historique de ce qui fut le coup d'état parlementaire du 10 juillet où 80 députés de sensibilités différentes de la gauche ou de la droite ont refusé de donner les pleins pouvoirs à Pétain. Qu'il me soit permis de saluer M. le Maire de Castelnau, la commémoration que vous rendez chaque année où les enfants donnent les noms.
Je ne vais pas le faire là, mais Blum figure parmi ceux-là, mais aussi De Chambrain, la gauche, la droite, une certaine idée de la France. Le régime de Vichy, très vite va prendre les lois contre les juifs. Aujourd'hui, nous sommes marqués par la date de la rafle du Vel d’Hiv, celle que le Président Chirac, dont il faut saluer le courage, devant la mémoire, a reconnu en 1995 la responsabilité de l'Etat français.
À Montpellier, où nous célébrons aussi les 80 ans de la libération du sol de France, je veux évoquer la rafle de Montpellier. 1010 citoyens et citoyennes, femmes, enfants, étaient inscrits sur les listes. 140 concernaient le chef-lieu de département Montpellier.
La rafle eut lieu le 26 août 1942. 1010 noms figuraient sur la liste. 419 se retrouvèrent au camp de Hague.
Plus de 500 échappèrent à la rafle. Et les noms qui ont été évoqués tout à l'heure, nous leur devons. Antonin Balmès, professeur de l'université, grand médecin.
Le père Prévost avec Sabine Zlatin, figure spirituelle. Monsieur le Préfet, le secrétaire général, Camille Ernst. Rappelant à Maurice Papon qu'on pouvait agir différemment.
Celles que des Montpelliérains et des Montpelliéraines, 79 ans après, ont proposé comme noms pour un parc, Madame la rétrice Suzanne Babu. Que c'est beau, quand une idée vient des habitants ainsi, en disant nous nous souvenons, et pas uniquement le maire. Cela donne raison d'espérer.
Bien sûr, les justes, ici, j'en ai cité quelques-uns. Mais aussi la part sombre dans notre ville doit être évoquée. Les représentants du monde universitaire ici le savent.
Ce ne fut pas simple dans les débats des facultés. Et ici, le grand historien Marc Bloch chercha à être nommé professeur pour être mis à l'abri. Il fut nommé chargé de cours, mais interdit d'entrer à la bibliothèque de peur de troubler l'ordre public parce qu'il était juif.
Cet affront fut une blessure. Marc Bloch mourra, exécuté. Mais je veux le dire ici, sa mémoire sera honorée.
Et dans quelques semaines, nous l'avons évoqué ensemble, Madame la Rectrice, Monsieur le Préfet, le parvis de l'université Paul-Valéry portera le nom de Marc Bloch pour rétablir cette offense qui lui fut faite. Pour aider les jeunes entrant dans cette université à se rappeler leur responsabilité qui est la leur. Aujourd'hui, quatre-vingts ans après, nous nous souvenons de la rafle du Vel d’Hiv, des persécutions que les juifs de France ont subies parce que juifs, des 16 000 noms qui figurent à Auschwitz, à Roglit, au mémorial de la Shoah.
Nous nous souvenons. En ce moment, le climat est pesant. Depuis le 7 octobre, les choses se sont accélérées, mais elles avaient commencé avant.
Dieudonné, acclamé par la famille Le Pen aux Zéniths avec Robert Faurisson, l'attentat de Mohamed Merah dans une école où l'on tue des professeurs et des enfants de sang-froid, Mireille Knoll, l'attentat de l’Hyper Kacher, l'antisémitisme ne peut pas être qualifié de résiduel quand des citoyens français meurent parce qu'ils sont juifs. Mais, en cet instant, comment ne pas regarder avec émotion et confiance l'image de Lassana Battili portant la flamme olympique parce qu'il est le symbole et le visage de la France, parce que ce caissier d'origine malienne dont le décret de naturalisation fut remis par le Premier Ministre et le Ministre de l'Intérieur dans une cérémonie qui aujourd'hui est entrée dans tous les cours d'histoire de France a porté la flamme olympique. Il est l'héritier des Justes par son action.
Comment ne pas avoir apprécié l'éditorialisation de la presse française qui hier a fait le choix de montrer la flamme passant devant le mémorial de la Shoah par un rescapé d’Auschwitz. Oui, cela fait nation, cela donne de la force à tous les ardents défenseurs de la République, à tous ceux qui rejettent cette haine folle qui semble s'abattre tel une hydre se réveillant. Je veux voir ces signaux forts.
Je veux voir ces actes comme des actes d'espoir qui viennent évidemment en renfort de l'action résolue des forces de sécurité, de la justice, de l'ensemble des autorités qui s'engagent et qui ne vous lâcheront jamais, chers concitoyens et chères concitoyennes. Je veux le dire, ici, jamais. C'est notre devoir.
Parce que justement nous connaissons de notre pays la France, sa grandeur, et nous savons aussi qu'il existe en elle sa part de ténèbres. Parfois, il y a des forces qui combattent les lumières. Elles sont là, elles sont à l'œuvre.
Mais la seule question qui vaille, c'est quelle est notre attitude dans ces circonstances. Doit-on, quand certains baissent la tête, sont habités du sentiment de peur, passer notre chemin, changer de trottoir ? Jamais. Nous devons être là.
Je veux le dire, ici. La mémoire du 7 octobre sera honorée. La mémoire de Valentin, Monsieur le Doyen, Monsieur le Président, Madame la Rétrice, figurera ici le 7 octobre avec sa famille, dont je sais le deuil.
Nous devrons continuer à parler et à agir face à cet antisémitisme qui renaît. Sans doute, nous allons nous le faire avec notre force, la raison. Car face au populisme, face à la haine, que faire ? Aller sur leur terrain ? Assurément, nous échouerons.
Parce que ceux qui nous font confiance, nous les perdrons. Par contre, nous pouvons continuer à enseigner, à s'adresser à l'intelligence des enfants. Et je veux le dire, ici.
Il n'y a pas une classe, quelles que soient les origines des enfants de la République, dans les écoles, qui ne se sont pas bouleversées, quand cet enseignement-là est assuré, est bien assuré, face aux événements qu'ils vivent. Il nous appartient à nous, les adultes, d'en expliquer la complexité, de rappeler que l'État d'Israël fut fondé parce que les Juifs étaient persécutés en Europe, parce que leur propre pays, notre pays, la France, avait le climat d'antisémitisme contre Dreyfus, et pour lequel il fallait constituer un gouvernement de défense républicaine. Et nous avons tenu.
Mais nous savons aussi qu'une partie des Juifs de France ont quitté la France, dans ce contexte. Les pogroms naissant en Europe ont conduit le mouvement sioniste. Et Israël, en 1948, par le droit international, par le droit international, a été créé, accueillant de nombreux rescapés de l'Holocauste.
Et donc, ceux qui, aujourd'hui, contestent le droit d'Israël d'exister, contribuent à cela à coup de slogans. Après, il y a cette géopolitique, et il faut, et je le dis avec force, une solution à deux États, deux paix. Cela nous oblige, cette histoire.
Mais aujourd'hui, on voit bien que ce conflit au Proche-Orient, qui nous abîme tous, qui déchire nos consciences, et bien certains l'instrumentalisent pour servir un antisémitisme résurgent, renaissant. Mais que nous avions vu apparaître dans les années 2000, et quelle que soit la forme que prend l'antisémitisme, la République doit faire unité, bloc, engagement, résolution et détermination. Et aujourd'hui, en tenant cette cérémonie, en y accordant de l'importance, nous adressons à nos concitoyens, ici, à Montpellier, dans le chef-lieu de l'Hérault, tout notre engagement.
Parce que le jour où le 16 juillet ne sera plus commémoré, alors là, les forces de la haine se déchaîneront. C'est cela que nous rappelons ici. Je vous remercie.