10 ans de Charlie Hebdo - L'esprit des Lumières tiendra !

Charlie

Discours prononcé à l'occasion des commémorations des 10 ans des attentats de Charlie Hebdo

Mesdames et Messieurs,

Avant de tenir un propos officiel, je voudrais donner les noms des victimes de ces trois jours de froid qui ont frappé notre pays comme jamais depuis la Libération de 1945 : Frédéric Boisseau, responsable des opérations de la société Sodexo ; Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski, Elsa Cayat, Bernard Maris, Mustapha Ourrad, Franck Brinsolaro, Michel Renaud, Ahmed Merabet, Clarissa Jean-Philippe, Yoav Hattab, Philippe Braham, François-Michel Saada et Yohan Cohen.

De nombreuses personnalités sont présentes et je voudrais les saluer. En premier lieu, Madame la rectrice d’académie, chère Sophie Béjean, et, à travers vous, l’ensemble du personnel d’éducation, qui a répondu à la mobilisation dans les salles de classe, à travers le Pôle Valeurs, et qui a su continuer à faire ce pari d’éduquer, d’instruire, d’émanciper et de former à l’esprit critique.

Cher Christian Assaf, qui représente ici Carole Delga, permettez-moi de saluer chaleureusement la plus grande région, qui, elle-même, organise de nombreuses manifestations pour dire que nous sommes toujours Charlie. Cher Jean-Louis Gely, qui représente le département, lequel a accompagné – cela a été évoqué – le club de la presse à travers les expositions dans ce bâtiment extraordinaire qu’est Pierres vives, et qui a financé les programmes où des journalistes sont venus dans les collèges pour témoigner.

Je voudrais saluer Madame la députée, chère Fanny Dombre-Coste, qui, aux côtés du président Hollande et de toute la représentation nationale unie, fut présente à Versailles après ces heures terribles. Il faut ici saluer l’État et les parlementaires, qui, chacun à leur manière, ont œuvré.

Je voudrais saluer très chaleureusement le consul des États-Unis d’Amérique, qui nous fait l’immense honneur de sa présence. La France et les États-Unis sont des amis de toujours. La plus vieille amitié. Et dans l’épreuve du terrorisme que vous avez connue, nous avons été à vos côtés, et dans cette épreuve-là, vous avez été à nos côtés. Votre présence ici en est un témoignage.

Évidemment, Monsieur le président du club de la presse, à travers vous, tous les membres du club, dont l’action est remarquable et engagée, ainsi que votre mobilisation. De ce 7 janvier au soir, place du Nombre d’Or, chère Agnès. Cher Olivier Voiron, qui fut président, vous êtes une chance pour nous. Je vais évidemment saluer Jean-Pierre, sénateur.

Je voudrais saluer de nombreux maires et élus.

Cette exposition, qu’est-elle ?

Il était inconcevable pour moi, comme maire de Montpellier, de ne pas commémorer les 10 ans de Charlie Hebdo et de ses attentats. Et je veux saluer tous ceux qui, dans toutes les villes de France et toutes les collectivités, ont fait le même choix que le nôtre.

Nous savions que la presse reviendrait largement sur ces événements, et elle le fait avec talent. Hier soir, devant ma télévision, comme d’autres Français, je regardais M6 et j’ai vu le récit de ces trois jours d’épreuves : les visages du Président de la République, le courage de nos policiers, de nos soignants et de compatriotes effrayés, qui se demandaient ce qu’allaient devenir leurs enfants dans les écoles. Un Patrick Pelloux en larmes lors de la grande marche du 11 janvier.

Nous nous sommes posé la question : comment commémorer ? Que pouvions-nous dire ? Bien sûr, montrer les caricatures de Charlie Hebdo. J’y reviendrai. Mais il nous a semblé singulier et original de faire référence à ce que vous nous aviez dit, Monsieur le Président, ce que nous avons fait ensemble le 11 janvier.

Cette ville, Montpellier, 300 000 habitants aujourd’hui et métropole de 500 000 habitants, a accueilli la plus grande manifestation de toute son histoire, où 100 000 personnes se sont rassemblées. De la place du Nombre d’Or à l’esplanade de l’Europe, il était difficile de marcher dans un temps comparable à celui-là. Nous avons voulu montrer cette unité, cette foule compacte, habitée de dignité, d’idéaux, de doute, mais aussi d’un amour : celui de la vie, celui de nos valeurs qui font la France.

Je veux ici remercier le caricaturiste Man, qui n’est pas en personne présent – et il a bien raison –, pour l’affiche d’invitation, ainsi que Jérôme Carrière, les photographes de la ville, et le club de la presse, qui ont réalisé cette exposition, qui sera dévoilée sur le parvis.

Merci à vous.

Nous sommes toujours Charlie, c’est ce que nous disons à cet instant. Nous sommes toujours Charlie parce que nous avons vécu, en ces trois jours, le sentiment que cet air doux que nous respirons depuis la Libération de la France – celui de la liberté – était menacé

Des journalistes sont morts parce que journalistes, parce qu’ils caricaturaient, comme si Voltaire tombait à nouveau. Celui qui prit la parole pour défendre le chevalier de La Barre, qui avait eu le malheur de se moquer de la religion et qui fut torturé. Il prit la parole, Voltaire, pour défendre le droit au blasphème et donc la liberté d’expression et le droit de critiquer tous les pouvoirs : politiques, économiques, religieux et autres. C’est de là que naît ce combat.

Le 26 août 1789, la Déclaration des droits de l’homme choisit bien les mots de l’article 11 : « La libre communication des opinions et des pensées est un des droits les plus précieux de l’homme », précieux comme la vie, comme la vie.

Et donc, en dessinant, la rédaction de Charlie Hebdo, c’est l’héritage de Voltaire, ce sont les principes qui sont le préambule de notre Constitution qui ont été attaqués, arrachés à la vie. C’est aussi la cruauté du fanatique islamiste qui touche les journalistes et qui détruit la vie, comme cet employé de Sodexo qui était là, qui faisait son travail. Ce sont ceux qui nous protègent et qui portent, et je veux saluer les pompiers et les policiers que j’ai aperçus, ainsi que nos militaires, qui, parce qu’ils protégeaient, parce qu’ils portaient un uniforme, ont été tués.

Clarissa Jean-Philippe avait 25 ans, la vie devant elle. Dans cette folie qui s’est emparée de notre pays pendant ces trois jours, c’est l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme – « Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » – qui a été tué à l’Hyper Cacher. Parce que l’Hyper Cacher, c’est là où nos concitoyens, en fonction de leur conscience, vont s’approvisionner, dans le respect de leur foi, de leur rituel, tués parce que juifs. Tout était attaqué à ce moment-là : la liberté, l’égalité.

Le pays pouvait basculer, chère Fanny, tu te souviens, le pays pouvait basculer dans la haine de l’autre. Se dresser les uns contre les autres, lancer les suspicions selon la couleur, selon la religion, il fallait peut-être chercher les pulsions les plus profondes en nous. Eh bien, non ! Malgré les larmes, malgré les colères, malgré les peurs – toujours mauvaises conseillères – parce que des hommes et des femmes de responsabilité, vous, vous avez initié ces grandes marches du 11 janvier, eh bien, la fraternité a tenu.

Et Montpellier, comme tout le pays, s’est illustré par ces marches. Et là, il faut regarder les photos, il faut se souvenir, il faut voir ressurgir la mémoire des réseaux sociaux. Et là, que redécouvre-t-on ? Des gens qui écrivent « Je suis Charlie », des gens qui ressuscitent de leur mémoire Manuel Choler, Voltaire, la Déclaration des droits de l’homme, qui disent qu’il faut s’aimer, qui prennent aussi leur crayon et qui font le symbole.

Des gens qui sont de gauche, de droite, mais qui sentent que, quelle que soit leur sensibilité, ils appartiennent à quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes : la France, pays des droits de l’homme. Et là, quelque chose de puissant se joue. À ce moment-là, les nations du monde sont à nos côtés dans la rue, les chefs d’État, les monuments sont aux couleurs de la France, et nous en sommes bouleversés ici, car l’ailleurs sent bien que quelque chose se joue. Ces marches du 11 janvier ont été un élan incroyable.

Elles ont montré sans doute l’un des meilleurs visages de notre pays, et peut-être de nous-mêmes, quand nous sommes citoyens. Ce n’est pas que le vote ou le non-vote, la citoyenneté. Ce ne sont pas que les droits.

C’est, à un moment, être au rendez-vous. Et combien de personnes disaient : « Ah, je regrette de ne pouvoir venir, trop malade, dans l’épreuve, dans la difficulté. » Cet élan fut incroyable. Ces images-là ont montré le meilleur visage de la France en cet instant, et la fraternité a tenu bon, tenu bon. Et croyez-moi, je vous parle comme un prof d’histoire à cet instant : nous aurions pu basculer dans autre chose. Eux, nous, la violence… Non, le pays a tenu bon, parce que ses citoyens ont tenu bon, parce que les fonctionnaires ont tenu bon, parce que l’État a tenu bon

Il faut le dire. Et donc c’est cela que nous avons voulu montrer. Et sans doute, en écoutant mes propos, déjà trop longs, vous vous remémorez, vous, de comment vous étiez dans cette marche, avec qui vous marchiez, à qui vous avez tenu la main, qui vous avez croisé du regard.

Moi, j’ai un souvenir, et il est en photo. C’est d’avoir vu un rabbin, l’archevêque et l’imam côte à côte, marcher ensemble disant, je suis Charlie. Cette image-là, pour un non-croyant comme moi, je la relève, mais elle nous dit de ce pays croit en la liberté de conscience et à la fraternité, à sa juste place. Et de là est née, Madame la Rectrice, je veux y revenir, une autre mobilisation, du monde associatif, de l’éducation nationale, pour expliquer, pour parler, pour déconstruire. Mais nous devons être francs. Nous n’en avons pas terminé avec ces épreuves. Car le jour où un professeur de quatrième a fait le cours que font tous les professeurs de quatrième, montrant la satire de la révolution, Honoré Daumier, dans la presse libre, montrant le Canard Enchaîné et Charlie Hebdo, pour former à l’esprit critique, celui-ci fut lynché par une somme de lâcheté, pour être tué jusqu’à la sortie de son collège.

Nous avions programmé le spectacle sur l’être escrocs de l’islamophobie, le fameux texte de Charles. Il m’avait dit : « Merci, monsieur le maire, de rendre cela possible. » Je lui ai dit : « C’est quoi cette histoire ? » Il m’a dit : « Oui, car il y a plein de villes où on ne peut pas montrer ce texte. » Mais comment ça ? Bah ici, oui ! Ici, oui, parce qu’ils nous font tenir. Et elle me racontait, nous avons dîné ensemble, et je lui disais alors, bien évidemment, elle porte le poids de cette épreuve à titre personnel. Et je lui disais : « Et Charlie ? Et la rédaction de Charlie ? » Et elle m’a fait cette description et elle me dit : « Eh bien, il y a deux fourgons de CRS qui travaillent dans un lieu secret pour produire chaque semaine un journal, que vous aimiez ou que vous n’aimiez pas, que vous achetiez ou que vous n’achetiez pas, mais qui est là. » Et je suis sorti de ce moment effondré d’apprendre que dans ce grand pays qu’est la France, il y a encore un journal qui est obligé d’avoir une conférence de rédaction dans un lieu secret, où on est obligé d’être caché et protégé.

Eh bien, la vraie victoire, c’est le jour où Charlie pourra tenir dans un lieu connu, simplement pour faire son travail. Ça veut dire, mesdames et messieurs, chers concitoyens, chères concitoyennes, qu’il nous reste encore du chemin. Parce qu’au fond, ce n’est pas un anniversaire.

Il n’y a pas lieu d’anniversaire. C’est une date repère. Une date repère comme un phare qui doit essayer de nous dire où est le chemin, comment faire ensemble, comment ne pas céder à ce que nous voyons.

J’ai passé mon week-end à faire des articles 40 du code de procédures pénales, à des gens qui incitaient à la haine ici, qui procédaient au négationnisme là. Il nous faut tenir, alors sur quoi pouvons-nous tenir ? Sur nous. Chacun dans nos rôles, chacun dans nos fonctions. La mienne, c’est celle de maire, celle d’élu. Madame la Rectrice, les fonctionnaires de l’Éducation nationale, nos policiers qui nous protègent, nos pompiers. Le monde associatif, naturellement. La presse, les journalistes.

Montrez-nous comment ce pays traite les journalistes, et nous vous dirons quelle forme a la démocratie. Et puis, c’est sur nous, sur vous, citoyens et citoyennes de la République. Quelles que soient vos croyances, quelles que soient vos origines, si nous ne nous retrouvons pas sur ce socle commun, forgé par 300 ans d’histoire, pour émanciper et conduire au progrès humain, eh bien alors, ceux qui veulent éteindre les lumières auront gagné. Eh bien, je le dis avec vous, comme nous le disons partout en France en ce moment, avec des citoyens, des citoyennes qui se rassemblent, des gens qui réfléchissent à tous ces sujets en France. Monsieur le Consul, l’esprit des Lumières tiendra, tiendra, et nous tiendrons à cet instant, plus que jamais.

Ce n’est pas « je », c’est « nous » : nous sommes toujours Charlie. Vive la France ! Vive la République !