Inauguration de la stèle à la mémoire des victimes civiles des bombardements du 5 juillet 1944

Inauguration de la stèle à la mémoire des victimes civiles des bombardements du 5 juillet 1944

Discours de Michaël Delafosse

Mesdames et messieurs, je veux évidemment saluer les représentants du département. Mon ami Jean-Louis Gély, qui est présent, les associations du monde combattant de la mémoire, pendant les pompiers, merci d'être là. Mesdames et messieurs, merci d'être présents en cette cérémonie.

Cher Madame, comment retranscrire l'émotion qui nous a submergés en vous écoutant. Je voudrais vraiment vous remercier d'avoir accepté de prendre la parole et d'évoquer ce souvenir très douloureux.

Je remercie la presse qui a fait le déplacement. Nous sommes dans un moment important de l'histoire de la ville. Pour vous se souvenir, vous aviez trois ans.

C'était il y a 80 ans, jour pour jour. Et nous avons voulu maintenir coûte que coûte cette date du 5 juillet 2024. Car il y a 80 ans, ici, les armes de guerre venaient du ciel et ont tué des hommes, des femmes, de tout âge, civils, des Montpellierains, des Montpellieraines.

C'est la seconde plaque mémorielle dans notre ville à l'égard des victimes civiles. Une est posée, quartier rive gauche, le long du lest, le long de cette balade. Et c'est la première fois que nous honorons la mémoire des victimes civiles du conflit et d'une certaine manière, des traumatismes qui ont habité une vie entière ces événements.

Je voudrais dire combien de fois, comme Montpellierain, je me suis promené dans cette ville. Et j'ai entendu souvent des témoignages de gens de votre génération, Madame, me disant qu'il faut se rappeler de ce qu'on appelle les bombardements du marché-gare. Les bombardements du marché-gare.

Alors aujourd'hui, quand vous avez, comme moi, 47 ans, le marché-gare apparaît lointain vers la rue de l'industrie à l'entrée de la ville dans une zone qui ne s'est pas développée de façon heureuse dans les années 60-70. Je ne suis pas là pour juger. Et votre description, Madame, nous rappelle que les voies de chemin de fer d'intérêt local circulaient à cet endroit et elles étaient le ravitaillement stratégique.

Et à l'époque, le réseau ferré était déterminant car il assurait les missions de logistique et là, en l'occurrence, de l'occupant allemand. Et donc, nous y sommes. Nous y sommes et je suis très heureux, très honoré, avec gravité, que 80 ans, jour pour jour, enfin, le nom des victimes civiles apparaissent sur la plaque que nous dévoilerons ensemble, chère Madame.

Et que ici, dans ce lieu de quiétude qu'est le parc René Dumont, le long d'autres voies de chemin de fer qui ont été posées, le tramway, là où nous construisons une école qui devra prendre soin de l'avenir, il y ait ce lieu de recueillement et de mémoire. Ça aurait dû être fait plus tôt, je veux le dire.

Il a fallu attendre, en Normandie, 2014, pour que le Président de la République honore la mémoire des victimes civiles des bombardements alliés à Caen. C'est la première fois que la France se tournait officiellement vers les victimes civiles.

Car bien cette question, qui est responsable des tragédies ? Oui, vous l'avez dit, Madame.

Les avions étaient les avions des alliés. Parce que c'était la guerre et il fallait libérer le sol de France. Et il y a une expression, moi j'ai grandi avec elle pendant la guerre du Golfe, dommage collatéral.

Et là, les victimes civiles, pour libérer notre pays, ont été, ont subi le sacrifice. Cette mort venant du ciel. Le vent a joué, puisque les cibles n'étaient pas celles-là, mais les bombes qui tombaient ont été déportées et tuèrent des innocents.

Et cela ne doit pas tomber dans l'oubli. Parce que, vous l'avez dit, Madame, et je veux m'exprimer avec une infinie humilité devant vous, la guerre n'a rien, il y a ses héros, mais la guerre est un traumatisme. Elle arrache les vies, elle n'est point la solution.

Elle arrache les vies, elle procure des traumatismes. Hier, Madame, peu s'en sont fait écho aussi, je vais y venir, nous avons accueilli des enfants de la ville de Lviv (Ukraine). Des enfants, Madame, vous aviez 3 ans, eux ont entre 7 et 12 ans.

Dont le papa est au front. Dont le papa a disparu sous les balles russes. Nous accueillons ces enfants.

Ils sont actuellement à la base de loisirs, de la Grande Motte, pour essayer de conserver leur caractère espiègle d'enfant. Mais hier, outre le long voyage de Lviv à Cracovie, de Cracovie à Amsterdam, d'Amsterdam à Montpellier, je voyais leur visage tout poupon, marqué de traits, comme si quelque chose de très dur les éprouvait. L'absence, le deuil, la peur.

Ce bruit, nous, nous ne l'avons pas entendu, Madame. À Montpellier, nous entendons le bruit des tramways, le bruit des fêtes, le bruit des ferveurs. Parfois, les cris d'adolescents qui vivent des déchirements amoureux.

Mais jamais nous n'avons entendu, comme vous, ce bruit assourdissant, le traumatisme de la sirène que vous avez décrit. Ça nous rappelle l'obligation de la paix, de défendre cette paix. Je suis chafouin ou en colère, pardon, que nous soyons si peu nombreux ce matin.

Je veux le dire. J'espère que la presse aura le souci de rendre compte de votre témoignage. Il y a quelques instants, quelques heures, un grand historien français, Nicolas Hoffenstadt, qui a accompagné les politiques mémorielles de notre pays, disait sur France Inter que nous étions sans doute à un moment de bascule de l'histoire.

Il disait que c'était sans doute le moment où les derniers témoins de cette période d'effroi, de l'occupation du régime de Vichy, où vous avez, dans votre regard d'enfant, confondu nos soldats en uniforme, qui étaient les pompiers, avec la peur de l'occupant allemand. C'est sans doute le dernier moment où nous avons ce témoignage. J'ai souhaité, comme maire, que les 80 ans de la libération soient pleinement honorés, compris, partagés, expliqués.

Parce que nous sentons bien que cette flamme de la mémoire doit encore se transmettre. Parce que votre témoignage, madame, il nous a littéralement bouleversés. Je veux vous le dire, je ne l'oublierai jamais.

Car ici, je le disais aux équipes du protocole que je veux remercier, il faut mettre la plaque du jour et de l'heure à laquelle nous avons dévoilé cela. Parce qu'il y aura un 90e anniversaire, un 100e anniversaire, et que peut-être, ce 5 juillet, nous aurons des écoles pour expliquer inlassablement. Parce qu'une nation qui oublie ses traumatismes, s'égare dans les méandres du présent et choisit un destin incertain.

Et vous, par votre témoignage, vous nous avez rappelés à tous et toutes, et je le dis aux côtés de nos porte-drapeaux qui savent de quoi tout cela retourne, bien mieux que moi. Eh bien, nous avons une responsabilité avec les garants de la paix, protéger la vie humaine. Et chère madame, protégez les enfants qui n'ont jamais à vivre comme vous, pareil traumatisme, sur le sol de France, sur le sol d'Europe, sur cette planète.

C'est un devoir, c'est un devoir. Ici, les soldats américains, les bombardiers américains en voulant libérer des victimes civiles, ont fait des victimes. Ils le faisaient parce qu'ils contribuaient à la libération de l'Europe.

Toute cette mémoire, elle nous oblige, et nous l'affrontons. Elle est héroïque, elle a aussi ses parts d'ombre, elle a sa part de tragique, et elle est là, cette mémoire tragique. Mais aucune ne doit être occultée.

C'est pour cela que dans ces 80 ans de la libération, je voudrais terminer, parce que j'aurai l'occasion de prononcer d'autres discours. Mais en fait, pédagogie, c'est art de répétition contre l'oubli. Ici, dans ces célébrations, nous célébrons les héros, évidemment, les maquisards, ceux que nous allons accueillir au mois d'août.

Nous allons rappeler, vous savez, cette image du char, place de la comédie qui surgit. Nous sortons de l'oubli, les femmes de la résistance. C'est le rôle que nous avons, de mémoire que nous avons donné à l'or moulin.

Aujourd'hui, ce sont les victimes civiles de la libération. Et puis, nous allons consacrer 260 000 euros d'argent public, nous, municipalité, pour rénover les geôles de la caserne de Lauwe, celles où des Français étaient engagés dans la milice et torturèrent des résistants. Et donc, nous allons aussi rappeler, non pas cette fois la part tragique, mais la part ténébreuse de certains dans cette ville, pour que ces geôles, elles soient visitées par les professeurs d'histoire, par les professeurs des écoles, avec les élèves, pour expliquer, comme ici.

Il y aura, grâce à l'office du tourisme, un tourisme de mémoire, un tourisme ludique, évidemment, des visites pour mieux comprendre, pour mieux partager cela. La meilleure façon de faire, c'est de lutter contre l'oubli. Ce n’est pas de créer une chape de plomb mémorielle qui viserait à être sentencielles.

C'est de créer des repères pour les générations qui viennent, pour celles qui vivent le présent, pour éviter la confusion des mots, pour éviter de se perdre dans les méandres. Voilà ce que nous cherchons très modestement, mais résolument, à faire. Alors, Mesdames et Messieurs, merci à vous d'être là.

Comprenez bien que, par mes propos, je vous demande d'être ambassadeur de cette cérémonie. Et, chère Madame, je vous fais le serment, ici, que tant que je serai maire, tant que je serai dans cette ville, jamais je n'oublierai. Et je rappellerai longtemps votre témoignage.

Et je veux vous remercier de votre prise de parole publique. Je veux vous dire qu'elle va être retranscrite et mise en partage. Et si vous l'acceptez, je serai très heureux que nous puissions proposer à des professeurs de pouvoir capter ce récit, pour que d'autres enfants puissent grandir en ayant connaissance de cette mémoire si précieuse et que, d'une certaine manière, vous puissiez contribuer à éclairer leur avenir.

Je vous remercie infiniment de votre prise de parole. Je vous remercie tous et toutes d'être là. Je nous invite collectivement à mesurer l'importance du point de vue de notre mémoire, de la plaque que nous dévoilons.

Cette stèle marque une étape supplémentaire dans notre compréhension, nous, ceux qui sommes dans le présent et dans le futur, de la mémoire de notre ville Montpellier. Je vous remercie.